Portrait de Ferdinand Magellan, grand explorateur du XVIème siècle, le nouveau film du Philippin Lav Diaz compose une série de tableaux splendides et une puissante charge politique
Par Rédaction Fiches du cinéma Publié le
Lav Diaz surprend avec ce nouveau film, tourné en portugais et avec Gael García Bernal en tête d’affiche, composant une galerie de tableaux sublimes qui désarçonnent par leur puissance poétique et politique. Le grand film d’un auteur majeur.
Avec plus de 40 films, courts et longs mêlés, à son actif, Lav Diaz a développé, en près de trois décennies dédiées au cinéma, une œuvre pléthorique. Connu pour ses films-fleuves – dont certains, comme Death in the Land of Encantos (2007), frôlent les 10h -, et pour sa conception singulière de la confection d’œuvres cinématographiques, il est parfois cantonné à un public de festival ou d’installations muséales. Peu de ses films ont eu le bonheur d’une exploitation commerciale, et de mémoire récente seul le Jeu de Paume, à Paris, lui a consacré en France une rétrospective intégrale. Certains ont toutefois bénéficié d’une exposition plus importante, à l’image de Norte, la fin de l’histoire, présenté en sélection officielle Un certain regard en 2013, ou, plus récemment, de Quand les vagues se retirent, sélectionné en Compétition à la Mostra de Venise en 2023.
À 66 ans, le cinéaste philippin ne faiblit pas et présente un nouveau film qui semble à première vue s’éloigner de ses standards habituels. Est-ce à dire qu’il fera date dans sa filmographie ? Magellan épouse les contours du parcours du grand navigateur, sur les vingt dernières années de sa vie, au cours du premier quart du XVIème siècle.
Diaz y fait le choix d’un tournage en couleurs et, lui qui a toujours plébiscité les acteurs non professionnels, prend Gael García Bernal pour tête d’affiche. Le format (2h40) est plus court que d’habitude, et le film adopte le portugais comme langue principale, avec quelques dialogues en espagnols et en dialecte philippin.
Dès les premiers instants, Magellan impressionne par la splendeur de ses plans – la beauté plastique n’ayant pourtant jamais été la qualité première des films de Diaz, qui choisit ici de composer son histoire comme une succession de tableaux, depuis la rencontre de Ferdinand et de sa femme Beatriz en Espagne, à la découverte de ces terres d’Orient où le massacre de la colonisation est déjà en germe. Si la narration est très linéaire, on retrouve la conception du temps propre à ce prophète du “slow cinema”, faite d’errements et de plans fixes dans lesquels le temps défile pour mieux laisser se dérouler une vie foisonnante.
Diaz aborde ici de front un grand nombre de thématiques : la trivialité des prémisses de l’aventure, la cruauté des voyages spartiates où l’on exécute à tour de bras les opposants, et bien sûr le traitement violent et criminel des populations autochtones. Le portrait fait du navigateur – paranoïaque, meurtrier, veule – est sans appel, la liste de ses péchés sans fin. Lav Diaz réussit au-delà de toute attente une œuvre éminemment politique, charge anti-colonialiste qui résonne longtemps après que le film s’est achevé.
S’il use pour cela d’un langage cinématographique à l’expression sublime, c’est, loin de toute gratuité esthétique, pour mieux rappeler, toujours, son attachement à la liberté et à l’auto-détermination des peuples. Fort de ce message et de la charge émotionnelle qui l’accompagne, le film évoque certes l’Histoire passée de la colonisation européenne, mais aussi la renaissance, dans le temps présent, des sentiments impérialistes. Un brûlant rappel qui passe par des images désarmantes de beauté. / Florent Boutet
Infos pratiques :
Magellan, de Lav Diaz (CANNES PREMIÈRE). Avec Gael García Bernal, Toger Alan Koza.
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